Quand les Espagnols posèrent pied en Amérique du Sud, ils furent séduits par les rumeurs évoquant un certain "El Dorado", littéralement "le Doré", une mythique cité d'or. Si cette fascination était principalement mue par la cupidité, les auteurs ultérieurs évoquent les villages pueblos bâtis en briques d'adobe, dont le spectacle sous le soleil couchant aurait pu piquer l'imagination des explorateurs. De tels fantasmes auraient été inspirés par l'opulence dont faisaient étalage de nombreuses villes sud-américaines, comme Hunza, capitale du peuple muisca, qui regorgeait d'or. Lorsque les conquistadors la découvrirent, il s'agissait d'un des royaumes les plus riches d'Amérique du Sud. Une fois les autochtones conquis, la région devint le chef-lieu des colonies espagnoles, pour donner plus tard naissance à la Colombie.

Les Muiscas, qui parlaient une langue appelée "chibcha", comptaient entre 120 000 et 160 000 individus lorsque les Espagnols débarquèrent. La population s'organisait en deux unités politiques principales, l'une placée sous l'autorité d'un "zipa", et l'autre sous celle d'un "zaque". Ces souverains régnaient sur un genre de confédération composée de communautés semi-autonomes unies par un capitaine, qui rendait lui-même des comptes au zaque (ou zipa) en fonction. Les villages muiscas étaient très denses, constitués de maisons au toit de chaume, de temples dédiés à un panthéon complexe et de palais réservés aux dirigeants. Comme dans bien d'autres sociétés, religion et politique étaient intimement liées, permettant au zipa et au zaque d'asseoir leur autorité via de prétendues connaissances ésotériques.

Les terres des Muiscas étaient riches, mais arides. S'ils cultivaient eux-mêmes du maïs, ils lançaient également des raids sur leurs voisins établis dans les plaines humides, dérobant céréales et esclaves destinés au labeur agricole et domestique… ou à être sacrifiés. Les guerriers muiscas étaient proprement terrifiants. Parfois, ces "guechas" portaient des corps momifiés sur leurs épaules pour prouver leur force, une caractéristique qui se retrouve dans leur nom même, pouvant être traduit par "l'homme qui apporte la mort". En temps de paix, les Muiscas se livraient au commerce de tissus sophistiqués, ainsi que du produit de leurs mines abondantes. Aujourd'hui encore, les mines de cette région des Andes sont exploitées pour leurs émeraudes et leur charbon (dont se servaient les Muiscas pour éclairer et chauffer leurs demeures). Et bien entendu, ils possédaient de l'or. Beaucoup d'or.

Les Muiscas nageaient dans l'or. Littéralement, parfois : lors de cérémonies religieuses observées au bord du lac Guatavita, les fidèles se couvraient d'or en poudre avant de s'avancer dans les eaux. Les ornements que revêtaient les zipa et zaque étaient faits d'or massif (obtenu par commerce, non extrait des mines muiscas), et c'est probablement la rencontre avec de tels dignitaires qui a inspiré aux Espagnols leur soif de conquête… et leurs fantasmes d'une lointaine cité constituée intégralement d'or. En 1537, un corps expéditionnaire espagnol parti à la recherche de ce fameux Eldorado atteignit la savane de Bogota, ancien lac préhistorique situé au cœur du territoire muisca.

Quemuenchatocha, souverain des Muiscas, identifia à juste titre la menace que représentaient les Espagnols, et tenta de se cacher pour leur échapper. Hélas, il ne put se dérober éternellement, et quand les envahisseurs lui mirent la main dessus, bardé d'or et d'émeraudes, ses compagnons le désertèrent. Les Espagnols s'emparèrent de ses richesses (et sa personne). Sur son territoire baptisé Hunza, ils bâtirent la ville de Tunja, tandis que les terres fertiles muiscas accueilleraient plus tard l'actuelle capitale du pays, Bogota.

D'après un recensement récent, il reste moins de quinze mille Muiscas en Colombie, qui s'organisent au niveau local pour s'opposer à la destruction de l'environnement et préserver leur patrimoine culturel.